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Veille & Tendances

Bâtir une culture d’innovation

Innover, c’est moins un choix qu’une nécessité dans un monde en constante évolution, dopé par les avancées technologiques qui révolutionnent de grands pans de l’économie. Innover, c’est investir, se tromper, perdre, trouver et gagner. C’est aussi embrasser le changement. Alors, comment bâtit-on une culture d’innovation pour rester à l’avant-garde? Nous avons exploré la question avec quatre entrepreneurs qui ont placé l’innovation au centre de leurs priorités.

Avancer dans l’inconnu avec Yves Proteau

Pendant le confinement de mars 2020, l’usine d’APN Global (dans le parc technologique métropolitain, à Québec) a continué de fabriquer des pièces d’aéronautique comme d’habitude… sauf que les employés ne se croisaient plus entre les quarts de travail et les patrons géraient presque tout à distance.

Manufacturier 4.0, APN avait créé une grande innovation en 2012 en interconnectant tous les systèmes de l’entreprise pour optimiser son fonctionnement avec le flux des données.

« J’ai le contrôle total. La seule différence entre la maison et le bureau, c’est le contexte. Je sais tout, de toute l’entreprise, de n’importe où. Très peu de compagnies dans le monde peuvent faire ça », explique le président, Yves Proteau.

APN est la première Vitrine 4.0 choisie par le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec. Pourtant, M. Proteau ne se trouve pas particulièrement innovant. Il affirme simplement avancer à une cadence rapide et avoir eu l’idée de connecter des systèmes et des robots existants.

« Je fais un peu d’innovation en intégrant ces choses-là. Nous, on fait ça à cause de la peur : on veut survivre. Mais pour d’autres entreprises, on dirait qu’elles attendent la mort. »

APN Global, qui regroupe six sociétés en Amérique du Nord, consacre autour de 15 % de son budget annuel en R&D. L’équipe est mobilisée par l’idée qu’un jour, toutes les usines pourront fonctionner grâce à des robots télécommandés à distance. Quand les prix de performance et d’innovation se sont accumulés, Yves Proteau a lancé : « On est bons, mais on pourrait être meilleurs! » Et l’équipe continue de foncer pour s’améliorer.

« Une fois, quelqu’un dans l’équipe a dit : “On ne lit pas assez. Yves lit 30 livres par année et nous autres deux ou trois. Ça ne marche pas!” », se souvient le patron, sourire en coin.

« Il ne faut jamais penser que tu es assez bon. Moi, j’ai une devise : je suis heureux de ma journée, mais demain, je vais faire plus. Je ne veux pas avoir à ruminer sur des erreurs que j’ai pu faire. »

Accepter les erreurs, c’est une clé de la culture d’innovation; tous les entrepreneurs qui en font le disent.

« L’innovation nous amène dans l’inconnu et nous fait prendre des risques calculés. Si on ne fait rien, il n’y a pas d’erreurs, mais pas d’avancées. Il faut essayer d’avancer le plus possible, en perdant le moins d’énergie possible. Il faut donc faire des mouvements continus vers l’avant », illustre M. Proteau.

Coup sûr ou coup de circuit? La question de Martin Gendreau

Chez Garaga, manufacturier de portes de garage en Beauce, on mise sur une stratégie de petites innovations continues.

« On veut faire des coups sûrs, pas des coups de circuit », précise Martin Gendreau, coprésident de Garaga avec son frère jumeau Maxime.

L’entreprise lance de nouveaux produits tous les deux ans. L’objectif n’est jamais d’être le premier sur le marché nord-américain ni d’avoir une porte révolutionnaire. Pour ce faire, le volume de ventes doit être assez élevé pour que l’entreprise puisse s’autoriser de coûteux essais-erreurs plus innovateurs. La principale cible d’innovation de Garaga tient au service à la clientèle.

« L’entreprise fabrique des portes de garage, mais ce n’est pas exactement ce qu’on vend. On vend une solution d’affaires pour aider les spécialistes de portes de garage à vendre des portes de garage. Tout notre modèle d’affaires est basé là-dessus », souligne M. Gendreau.

Garaga a été la première entreprise de sa catégorie à offrir un logiciel de soumission en ligne pour le résidentiel et le commercial. Les multiples fonctionnalités de Garaga Net (le logiciel maison) sont si efficaces qu’elles font gagner de nombreuses heures de travail aux spécialistes. Ceux-ci peuvent suivre tout le processus, de la soumission à la livraison jusqu’à l’installation.

« Il y a 10 ans, si nous avions lancé Garaga Net dans sa forme actuelle, il n’aurait jamais été adopté par nos clients. Nous avons commencé petits, et nous l’avons fait évoluer tranquillement, au fil des années. Notre défi aujourd’hui, quand on a un nouveau client, c’est de lui dire que c’est un méga système. Il commencera en n’utilisant qu’une seule option; nous le formerons tranquillement pour qu’il apprivoise les autres. Innover, c’est aussi faire de la gestion du changement. »

Le jeu de patience et de conviction d’Isabèle Chevalier

Les entreprises qui placent l’innovation au cœur de leur modèle d’affaires avancent souvent avec le petit « i » et le grand « I ». Chez Bio-K+, entreprise lavalloise spécialisée dans les probiotiques, le premier représente l’amélioration continue dans les différentes sphères d’activités de l’organisation.

« Cette mobilisation envers l’amélioration continue fait en sorte que nos produits et notre organisation sont performants », explique la présidente, Isabèle Chevalier.

Parallèlement, Bio-K+ investit beaucoup d’efforts dans la recherche pour atteindre l’innovation avec un grand « I », soit une découverte ou une façon de faire qui change les paradigmes et qui permet de propulser l’entreprise vers de nouveaux marchés ou de nouveaux sommets.

« On cherche des game changers : des applications nouvelles qui amènent des solutions de santé à un problème existant, précise Mme Chevalier. Par exemple, suite à des années de recherches, nous avons démontré scientifiquement l’efficacité de notre produit et obtenu des allégations spécifiques pour contrer les symptômes du syndrome du côlon irritable. L’innovation avec un grand “I”, c’est un choix stratégique. Bien que nos risques soient calculés, ces choix demandent patience, investissement et confiance, sans garantie de succès », observe la dirigeante. Elle poursuit, avec son équipe, l’objectif d’améliorer la santé et la qualité de vie des gens, en restant bien concentrée sur le développement de l’expertise de Bio-K+ dans les probiotiques.

Le positionnement, un facteur de succès selon Martin Thibault

Un positionnement clair, aligné sur une vision d’avenir ambitieuse, est une autre clé dans une culture d’innovation. Martin Thibault, d’Absolunet, l’a découvert à partir de janvier 2010, lorsque lui et son équipe de direction ont fait le choix de réinventer l’entreprise. Ils ont ainsi délaissé les services Web pour se consacrer au e-commerce.

« C’est difficile d’innover quand tu avances sur un chemin un peu flou et qu’il n’y a pas d’objectif ultime, remarque-t-il. Dans notre nouveau champ de compétence, nous prétendons être les meilleurs et voulons l’être. Nous devons donc constamment innover dans ce champ-là. »

Aujourd’hui, avec 250 employés, Absolunet a du muscle pour rester au-devant de la parade, ce qui implique d’accorder du temps à l’innovation. Les employés ne peuvent pas consacrer tout leur temps aux heures facturables. Il faut prévoir du temps pour les essais et les recherches qui visent à donner vie aux idées. Le plus souvent, ces dernières ne viennent pas des gens qui créent la technologie, mais de ceux qui l’utilisent ou la vendent.

« Nos vendeurs pensent à des idées avec les clients et nous reviennent en disant : “Make it happen!” », remarque M. Thibault, pour qui l’innovation est une responsabilité partagée entre tous les membres de l’équipe.

À la fin, bâtir une culture d’innovation passe aussi par la capacité de donner des défis stimulants à ses équipes. Il faut leur donner les moyens de les relever et leur laisser la possibilité d’explorer, de faire fausse route parfois, mais sans jamais abandonner. Une idée peut être laissée de côté sur la route, mais pas l’objectif.

Cet article est tiré de notre magazine anniversaire Être d’avenir